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Puissance et pouvoir des métaphores

Pour Jacques Lacan, il s'agit d'un mot pour un autre. Mais le mot substitué n'a pas totalement disparu, il reste présent dans la contamination du sens. C'est ce qu'on aime dans la métaphore. Elle intervient sans crier gare, du plus profond de la pâte blanche que la carapace osseuse protège de l'invasion capillaire.


Association inattendue, analogie surprenante, sens mystérieux, effet empoisonnant, énigme perverse, à les résoudre le lecteur se laisser charmer. Lautréamont l'a compris empoisonnant des générations de liseurs, la publicité également. Puisque c'est l'inconscient (le truc filandreux dans la pâte blanche que la carapace osseuse...) qui se charge de redonner du sens. Lacan ajoute : "il y a dans la métaphore un élément dynamique de cette opération de sorcière dont l'instrument est le signifiant et dont le but est une reconstitution après une crise du signifié" (avant de poursuivre, tu peux aller revoir ce que sont le signifiant et le signifié).

"Au commencement du monde étaient l'analogie et la métaphore" Baudelaire

Présentation

Back to the collège où, allant vite en besogne, entre une grève, un arrêt maladie pour dépression et une aventure pré-sexuelle avec la prof d'histoire-géo, ton prof t'a dit que la métaphore c'était une comparaison (avec un comparé et un comparant) sans outil de comparaison (comme) : le prof de français aboie de plaisir. Soit... On verra dans la partie fonctionnement que c'est un tout petit peu plus complexe.

La métaphore transporte la réalité dans un autre espace. Ce sera la figure idéale pour le rêveur qui ne se contente pas du réel que lui impose la perception. Mais aussi pour le junky, l'alcoolo et le mystique qui ne contentent pas de voir des métaphores mais qui les vivent sous forme d'hallucinations, de délires verbaux, de visions et/ou d'apparitions : le coup du sang qui se transforme en vin et inversement : les autoroutes débobinent les étoffes du paysage chrétien, paradis artificiels du grand buveur de Ricard

Figure de l'impuissance également, pour celui qui est incapable de se servir du discours quotidien (chère simplicité) pour décrire ce même quotidien. Les romantiques nous en ont fait crever, des générations d'écrivants ne s'exprimant que par métaphores

ô noires autoroutes qui saignent nos terreuses mémoires

Heureusement les surréalistes allaient leur succéder pour rafraîchir la figure

insolent juillet qui enfile des perles de caravanes sur les fils de l'autoroute

Des surréalistes à la publicité, la métaphore s'étant redonné un coup de jeune dans les mouvements branchés du Pop Art (indispensables artistes du Pop Art qui réhabilitent la société de consommation - bon gré, mal gré, notre réalité - dans nos représentations), il n'y a qu'un pas

l'autoroute du soleil vous souhaite bon voyage

Et quand il s'agira de nommer ce qui n'est que virtuel, cela donne :

les autoroutes de l'information

Champ sématique 1Champ sémantique 2
Référent actuelRéférent virtuel
autoroutesdébobinent l'étoffe
autoroutesqui saignent
autoroutesles fils (de l'autoroute)
autoroutesdu soleil
autoroutesde l'information


Fonctionnement

Dans la métaphore, se croisent (se rencontrent, se heurtent, s'entrechoquent - qu'y a-t-il de commun entre un paquet de cigarettes et un cow boy, une voiture et une fourmi ?) deux champs sémantiques à priori incompatibles. Une analogie s'opère entre un référent actuel et un référent virtuel. Le sens ayant subi une manipulation quasi génétique se déploie dans l'imaginaire qu'il rénove et qu'il enrichit.


Effet produit - les métaphores permettent par exemple :

de concrétiser l'abstrait
les autoroutes de l'information

de personnifier
les autoroutes débobinent l'étoffe

d'animaliser les objets
Les autoroutes rugissent dans les nuits sauvages

d'inhumaniser l'humain
le camionneur rugit sur les autoroutes qui traversent les nuits rurales

Fonction des métaphores

FONCTION ORNEMENTALE : la métaphore joue un rôle esthétique, souvent afin de positiver ou d'embellir le réel (les touristes multicolores fleurissent les aires d'autoroute de leurs sourires reposés)

FONCTION ARGUMENTATIVE : les métaphores sont employées dans une chaîne argumentative généralement pour qualifier le réel (de poussives caravanes se traînent dans les caniveaux des autoroutes). Les connotations qui sont ainsi développées sont valorisantes ou dévalorisantes, elles ont une valeur argumentative. Cette manière d'argumenter est d'abord persuasive, voire manipulatrice, car reposant sur l'affectif. La publicité en use (et en abuse puisque que le consommateur aime ça) pour survaloriser le produit (lion, pour rugir de plaisir). Mais aussi le journaliste qui ne se contente pas d'informer comme il le prétend hypocritement (comme s'il n'avait pas dépassé le simpliste schéma de la communication émetteur-récepteur-message-canal-code-brouillage , comme s'il avait ce pouvoir surhumain de faire abstraction du contexte, de l'indépendance du lecteur, des divers parasitages de l'information, comme s'il était à l'abri des métaphores) : Marie-Jo Pérec devient une gazelle, Zidane Zorro, les exclus deviennent les naufragés de la compétitivité.

FONCTION COGNITIVE : (affectivité et sensibilité) la métaphore modifie notre connaissance du monde. Elle permet de révéler un nouvel aspect de la réalité, quitte à détourner la réalité (le cow boy de Marlboro laissant deviner l'univers d'aventure et de liberté qui se dissimule derrière le fumeur de cigarettes : tu parles !). Les romantiques s'en sont servis pour explorer ce que cachait le réel (en même temps, ils ont préparé le terrain que Freud allait défricher), c'est-à-dire les lieux secrets que nos sentiments investissent (lorsque la forêt est triste, nous avons tous compris que la tristesse appartient à celui qui l'articule : c'est celui dit qui est). C'est pourquoi la métaphore a une fonction capitale dans le langage amoureux (je brûle d'amour pour toi), religieux (la main de Dieu), poétique (sur les ailes du temps, la tristesse s'envole) et bien sûr publicitaire (la bouteille orangina transformée en bouteille humaine : anthropomorphisation de la bouteille)

Autres Métaphores

LA SYNESTHESIE : la synesthésie est une forme de métaphore (voir page des figures de style)

LA METONYMIE : la métonymie est aussi une forme de métaphore (voir page de la métonymie)

LA METAPHORE FILEE : des métaphores reliées les unes aux autres par un thème similaire permettent d'une manière récurrente de créer un espace imaginaire proche de l'allégorie : les autoroutes rugissent dans les nuits rurales, dans les savanes de l'Europe. Bêtes fauves figées dans le temps, leurs langues noires lèchent les reliefs appeurés.

LA CATACHRESE : l'usage courant détourne un mot de son champ sémantique habituel : le bras du fauteuil, le pied de la table, le pantalon à pattes d'éléphant. Le travail poétique peut rénover le cliché : l'épaule du fauteuil, le pantalon à trompe d'éléphant. Parfois ces catachrèses sont carrément gore : j'ai l'estomac dans les talons (imagine toi ça), j'ai le coeur déchiré et toujours plus fort : j'ai les dents qui baignent.

LA METAPHORE LEXICALISEE : c'est une métaphore qui est rentrée dans le lexique (dans l'usage courant) : la nuit tombe, le jour se lève. Là aussi, on peut s'amuser à rénover le cliché : le soleil se levant de bonne heure baille à s'en décrocher les rayons.

SUR LES AUTOROUTES DE L'INFORMATION LES PEAGES SE SONT MULTIPLIES AINSI QUE LES CONTROLES POLICIERS - SUR LES AIRES DE REPOS DANS LES RESTOS LA BOUFFE EST DEGUEULASSE